novembre 2015

50/52, 11-13 Editions / texte de Marion Zilio

Visuel noms artistes
avec : Joel Andrianomearisoa / Léa Barbazanges / Pauline Bastard / Cécile Beau / Marion Bénard / Mathieu Bonardet / Sylvie Bonnot / Sofia Borges / Pierre Clément / Valérie Collart / Caroline Corbasson / Aurélien Cornut-Gentille / Thibault de Gialluly / Laurence De Leersnyder / Chloé Dugit-Gros / Léa Dumayet / Sara Favriau / Célia Gondol / Rémi Groussin / Pauline Guerrier / Nadia Guerroui / Leonora Hamill / Christophe Herreros / Guillaume Krattinger / Paul Lahana / Charles le Hyaric / Iris Legendre / Julie Legrand / Muriel Leray / Daphné Le Sergent / Alexandra Loewe / Giulia Manset / Laurent Pernot / Benoit Pype / Andres Ramirez / Mathieu Roquigny / Lionel Sabatté / Sylvain Ristori / Romain Sarrot / Ugo Shchildge / Keen Souhlal / Nicolas Tourte / Thomas Tronel-Gauthier / Claire Trotignon / Sarah Valente / Dune Varela / Clémence Veilhan / Romain Vicari / Noémie Vulpian / Andrey Zouari

 

Du kitsch au WTF. Une esthétique du quotidien par Mathieu Roquigny

Si de nombreux artistes détournent les objets du quotidien afin d’en révéler la magie ou l’extra-ordinaire, Mathieu Roquigny en investit la part humoristique, la poussant jusqu’à l’extrême d’un What The Fuck !!! Devenue populaire avec la culture internet des jeux vidéos, des Tumblr et de YouTube, l’expression WTF renvoie dans l’imaginaire collectif à une esthétique virale, et généralement lo-fi, qui souligne l’incongruité de nos faits et gestes.

     Photographe de formation, Mathieu se fait l’archiviste de ces micro-évènements qui, des moments de repas au sommeil, en passant par les commodités, résument les cycles répétitifs de nos journées. Dans DIARY, Mathieu crée un inventaire particulier composé de WC, de sleepers, de bistouquettes ou de cendars. Le protocole est invariant : formalisé et systématique, il produit une vision normalisée et typologique du quotidien. Si le souci de frontalité, l’absence récurrente de contexte, ainsi que l’apparente neutralité des images s’inspirent de la tradition documentaire, ses clichés sont plus proches de l’univers caustique de Martin Parr et des pratiques amateurs que des grands naturalistes. Des flashs aux captures, son esthétique rappelle les codes de communication transitant sur les réseaux, où la boutade inspire l’acte. Mais en inscrivant ses séries dans le temps long de la collecte, à l’instar de 4 PM ritualisant ses jours depuis 2006, Mathieu dilate le temps à l’infini. Aussi, n’est-ce pas tant le désir de « représenter la quotidienneté » que de se tenir dans une « quotidienneté de la représentation »1, qui motive l’artiste : il s’agit de se fondre dans le réel et ses flux plutôt plus de constituer un calque austère de la réalité.

      En répertoriant son environnement, selon un principe d’équivalence, où toute chose est également belle, vraie et sérieuse, Mathieu lance un défi à la bonne morale et aux conventions sociales. Si son art frise l’insolence, c’est avec désinvolture et humilité qu’il s’empare des petits riens, les déployant de l’image à l’objet, de l’observation à la construction. Ainsi en va-t-il des traces de chewing-gum grimant l’asphalte, lesquelles deviennent – une fois redressées à la verticale – des pièces ornementales évoquant, de-ci de-là, une fissure terrestre presque « cosmogonique », à l’image de Bubble Fissure, Blue ou Bubble Constellation #1. Mathieu s’amuse de l’absurdité du monde, fait de nos gestes répétitifs le motif de formes primitives lesquelles, davantage que de renvoyer à une supposée aliénation, convoquent une nouvelle manière de percevoir l’insignifiance et sa poésie latente. Dans Premier Souffle, ce sont les poussières de mines de crayons de couleur taillés de manière obsessionnelle qui font l’objet d’une mise en espace. Collées en cercle, ces compositions géométriques et minimalistes sont sublimées, littéralement recyclées. Cet aspect devient alors un moteur de son œuvre qu’il travaille jusqu’à l’épuisement, voire sa disparition. Between Me&Us, débutée en 2011, est une accumulation de bouteilles de whisky remplies des cendres de cigarettes ayant très certainement accompagnée leur absorption. Cycle d’un moment de flottement, où l’alcool et le tabac fonctionnent comme des vases communicants, Mathieu procède par consumation et consommation. De la destruction pure et simple que présente le verbe consumer, l’artiste convoque un art de la consommation supposant, lui, une destruction utile, destinée à quelques usages. Il va ainsi de l’œuvre TUC pour tonton Michel , suite aux obsèques de son oncle, Mathieu conserve pendant plus deux ans des paquets de tucs offerts par sa tante, sans pouvoir les manger, ni les jeter. Montés et alignés sur un tableau, les biscuits deviennent une sorte de ready-made, un motif jouant sur la mémoire et l’humour, tel un dernier hommage.

      Non sans une certaine dose d’ironie, Mathieu révèle le kistch de notre époque afin d’en synthétiser l’essence joyeuse ou jouisseuse, et, se faisant, semble faire sienne la traduction du terme allemand kitchen, signifiant « ramasser des déchets dans la rue ». Mais en passant de la photo à l’installation, d’un humour distancié à un humour incarné, sa démarche glisse vers un second degré plus proche de la culture WTF. Du kitsch au WTF, Mathieu Roquigny livre un éthos contemporain dont on aurait tort de sous-estimer la portée sociologique. Car si la formule appartient à l’air du temps, tout en étant asphyxiante, elle brille d’une médiocrité plus voyante. Elle devient un baromètre de nos valeurs et met au défi l’observateur ; elle fabrique l’événement, plus qu’elle n’en signale la mièvrerie.

1 Julien Verhaeghe, Art et flux. Une esthétique du contemporain, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 31.

Marion Zilio

 

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