décembre 2015

ARTISTUP.FR

Mathieu Roquigny est un « collectionneur » du quotidien. Armé d’humour et d’absurdité l’artiste s’intéresse au temps qui passe, au jeu et au détournement d’objets. A travers un univers marqué par une grande diversité il s’essaye à travers de nombreux médiums et matériaux à aborder la réalité et l’ordinaire sous un autre angle. Basé sur Paris, l’artiste étudie à St Luc à Bruxelles qu’il décrit comme l’endroit où ses « yeux se sont vraiment ouverts. »
Son but : « qu’on offre un peu plus de sérieux au sourire ». Un projet réjouissant pour un photographe de talent – à découvrir !

Elina Tarade
>> Retrouvez le travail de Mathieu Roquigny <<
au Festival Circulations 2016 au Centquatre Paris

 

© Mathieu Roquigny –  Culloden

Quel a été votre parcours ?

Un peu perdu dans le choix des études supérieures, je suis d’abord passé par la fac de droit pendant deux années. Un échec. Mon père reprenait à juste titre Coluche en me disant « un an de droit et tout le reste de travers »… Je suis ensuite parti à Saint Luc Tournai en Belgique, école d’art où je me suis spécialisé en photographie. Ces années d’études furent vraiment folles, à tout point de vue. Un vrai bouillon artistique où l’effervescence, l’émulation de travail et l’inspiration ne nous lâchaient pas. J’avais appris enfant les rudiments de la technique photo auprès de mon grand-père, mais c’est vraiment à Saint Luc que mes yeux se sont ouverts.

© Mathieu Roquigny –  Culloden

© Mathieu Roquigny –  Culloden

© Mathieu Roquigny –  Culloden
Dans votre univers créatif empreint d’absurdité, vous jouez avec le détournement, la réappropriation de lieux et de matériaux… avec la singularité pour fil rouge.
Qu’est-ce que l’humour et jeux visuels vous permettent-t-ils d’exprimer ?
Un des premiers livres m’ayant marqué étant gamin fut le Catalogue d’objets introuvables (Carelman, ed Balland). Sur la préface, il y avait un rectangle vide légendé en dessous : « Couteau sans lame auquel il manque le manche ». Cette absurdité est tellement imagée, la vision d’un rien, que beaucoup de choses pouvaient dorénavant se lire d’une autre manière pour moi. L’Oulipo ainsi que Perec m’ont beaucoup aidé en ce sens aussi.
La plupart des artistes créent par nécessité, par envie, par besoin primaire. L’absurdité et l’humour sont des composants qui permettent dans mon travail d’avoir une écriture efficace et spontanée. Le sourire est comme un point de départ, il est fédérateur et nous met en confiance, ce qui me permet d’aborder des questionnements plus profonds.

© Mathieu Roquigny – Blackout

Comment votre signature visuelle s’est-t-elle développée ?
Elle se dessine d’elle même je pense. Avec le temps, en produisant et en expérimentant beaucoup, tout cela s’affine. Mais c’est peut être et surtout en me donnant la liberté de pouvoir tout faire, que je me décomplexe et que les choses murissent naturellement. J’appréhendais beaucoup d’être catalogué sur un travail et de devoir rester ancré dans ce créneau pour continuer à être reconnaissable. C’est une question que beaucoup d’artistes se posent sûrement, mais qui est totalement improductive à mon sens.
En parallèle à la photographie, je travaille depuis quelques années sur d’autres pratiques artistiques. Cette multiplicité des médiums me permet de trouver un bon équilibre et une certaine cohérence, les projets s’emboîtent d’eux mêmes et me permettent constamment de remettre en question ou d’affirmer ce que je fais.
© Mathieu Roquigny – Blackout

© Mathieu Roquigny – Blackout

Vos photographies et notamment votre série « People » se démarquent par leur excentricité.
Sont-t-elles à l’image de la personnalité de leur créateur ?

La série People est la genèse de mon travail artistique. Ces photographies sont le fruit de la rencontre et d’une envie partagée de fantasmer la réalité. Cette série avait débuté pendant mes études et c’est elle qui m’a fait venir à Paris pour la poursuivre. J’étais fasciné par l’image qu’on pouvait prêter aux personnes de petite taille et ces mises en scène étaient un prétexte pour aller à leur rencontre. Ensuite, c’est une vraie collaboration et mise en confiance mutuelle qui s’est opérée avant de pouvoir réaliser ces images. J’ai tissé des liens très forts avec certains. Finalement, le résultat de cette série est bien moins intéressant que son élaboration et les relations que j’ai pu tisser.

© Mathieu Roquigny –  People
© Mathieu Roquigny –  People

© Mathieu Roquigny –  People

© Mathieu Roquigny –  People
Quels sont les thèmes qui vous tiennent à coeur et comment les abordez-vous ?
Quelle est l’origine de votre énergie créatrice ?
Mon quotidien. Une phrase entendue, une réaction, un objet quelconque, vraiment tout ce qui m’entoure peut être source d’inspiration dans mon travail. Je puise principalement dans mes souvenirs aussi et donc dans les codes de l’enfance, d’où l’aspect assez naïf de certains de mes travaux. Par ailleurs, le détournement de fond ou de forme est un terrain de jeu assez présent dans mon approche.
J’aime me dire que tout peut avoir une seconde lecture et que les choses ne sont pas ancrées dans l’utilité qu’on leur a donnée. Cette forme de fausse naïveté me pousse à faire des liens improbables mais qui ensuite me semblent être évident, c’est assez jubilatoire de pouvoir orchestrer tout ça.
Plus personnellement, le temps qui passe et le fait de vieillir me questionne sans cesse. J’ai du mal à assimiler qu’il y a eu un début mais qu’il y aura surtout une fin… C’est peut être pourquoi je me réfugie inconsciemment dans un univers propre à l’absurde et à l’humour. Parce que le jour où tout s’arrêtera, je préfère que ça se finisse avec des projets me donnant le sourire aux lèvres.

© Mathieu Roquigny –  Maison Close

Vos oeuvres semblent entrer en interaction avec le spectateur… Sur quoi souhaitez-vous arrêter l’attention ?
Que souhaitez-vous transmettre au public ?
Je pense avoir un travail accessible et honnête, car la démarche l’est totalement. L’intention plus que la prétention. J’aime bien entendre les gens regardant mon travail, dire : « J’aurai pu le faire.. » ou « J’ai déjà fait un truc comme ça ». Il y a une sorte d’accroche et s’en suit souvent une discussion assez constructive.
De part les sujets traités ou les matériaux que j’utilise, n’importe qui a déjà les clés pour rentrer dans mon univers car je ne fais au final que témoigner de ce qui nous entoure.
Mais principalement j’aimerais bien qu’on offre un peu plus de sérieux au sourire !
© Mathieu Roquigny –  Tuc pour Tonton Michel
Vous travaillez par série photographique… Comment vous vient l’idée d’une création ?
Quel est votre mode opératoire ?
Sans différencier mon travail photographique de mes autres pratiques, je pense procéder toujours de la même manière. Beaucoup d’observation, d’accumulation, d’expérimentation puis ensuite de réflexion. J’ai toujours 36 projets sur le feu sur lesquels je reviens des mois après quand je pense avoir trouvé la pertinence ou le petit truc en plus.
La photographie m’accompagne au quotidien. Depuis 9 ans, je fais une photo tout les jours à 16h (projet 4pm. Sans but esthétique, seulement pour documenter l’endroit où je me trouve ou bien ce que je fais. Nous étions 4 sur ce projet, je suis malheureusement le dernier à le continuer… En parallèle à 4pm, je prenais énormément de photos de tout ce qui m’entourais, de mes proches… J’ai décidé de les réunir sur une site web et c’est dans ce flot d’images à trier que je me suis aperçu souvent photographier les mêmes choses, les mêmes petits rien : wc, cendars, jambes de femmes, vélos abandonnés, gens qui mangent, etc…
Ce site Diary est devenu une sorte de journal de bord où sont ritualisées toutes ces collections de photos prises au jour le jour. Toutes ces images restent vraiment anecdotiques mais y trouvent au nombre de la collection beaucoup plus de légitimité. C’est le but premier d’une collection d’ailleurs, quelle qu’elle soit. C’est finalement la quantité qui donne de l’importance au tout.
De la même manière, je poursuis d’autres collections telles que les sacs à vomi d’avion, les listes de courses, les flyers de marabouts, etc… La collection me rassure en un sens, elle me permet de me sentir maitre du temps et devient un témoignage de la mémoire.
© Mathieu Roquigny –  Cendars

© Mathieu Roquigny –  Bistouquettes

Pouvez-vous nous parler d’une série qui vous tient particulièrement à coeur ?
Comment votre travail a-t-il évolué depuis vos débuts ?
Outre la série People, je pourrai évoquer la série Autoroute A8 qui a été faite durant mes études mais qui est plus enclin à ma démarche photographique actuelle. Sur cette route que j’empruntais tous les jours en voiture, un chat mort se trouvait sur une ligne blanche voie de gauche. Je me suis décidé à le photographier pour suivre sa décomposition, sa disparition. A raison d’une fois ou deux par mois, je m’arrêtais sur la voix d’urgence, traversais la route, prendre la photo et repartais. Ce chat commençait à disparaître physiquement, à se faire avaler par l’asphalte. Cette série s’est terminée lorsque je me suis fait arrêter par la police en train de photographier ce même chat. Ils m’ont dressé un procès verbal avec comme nature de l’infraction : « Véhicule à l’arrêt, stationnement sur la borne d’arrêt d’urgence et le conducteur photographie un chat mort en borne centrale. » Cette amende a clôturé à merveille cette série. A un rituel photographique absurde et macabre s’est joint une contravention comique et encore plus irréelle.
L’évolution de mon travail va dans ce sens aujourd’hui. Après un bref élan dans le milieu de la mode et de la pub avec une esthétique bien léchée et construite, je me sens plus en accord dans une démarche spontanée et frontale.

© Mathieu Roquigny –  série A8

En 2015, vous avez reçu le prix Kristal du 60eme salon de Montrouge et le prix Sciences Po pour l’art contemporain. Comment percevez-vous cette reconnaissance de votre travail ?
Avez-vous vu ressenti un avant-après suite à ces récompenses ?
Pour information, il y avait le prix du jury et le prix du public Sciences Po pour l’art contemporain. J’ai eu le prix du public et Amélie Bertrand le prix du jury. Le prix Kristal du Salon de Montrouge est quant à lui un prix attribué par un jury d’enfants. Il va sans dire que ce fut deux magnifiques moments, pour moi n’ayant pas fait les beaux-arts et étant plasticien que depuis trois ans…
Cette « reconnaissance » me donne juste l’envie de persister. Et finalement, c’est très gratifiant de m’apercevoir que mon travail parle aussi bien aux quidams et aux enfants qu’aux personnes du monde de l’art. Je me dis que ma démarche est comprise de tous et qu’elle n’est pas seulement réservée à une élite. Quand les enfants m’ont remis le prix Kristal au Salon de Montrouge, j’ai pensé très fort : « La vérité sort toujours de la bouche des enfants » !!

© Mathieu Roquigny – Blackout
En 2016, vous présentez votre série « The Twilight Zone » pour le festival Circulations au Centquatre à Paris. Pouvez-vous nous parler de la genèse de cette série ?
Comment appréhendez-vous cette nouvelle expérience ?
The Twilight Zone est une série dans la série si l’on peut dire. Ce titre vient de la série tv américaine diffusée dans les années 60, appelée en France « La Quatrième dimension ». Rod Serling, le réalisateur apparaissait dans chaque début d’épisode, jouant le rôle du narrateur. En regardant avec attention ses interventions, j’ai remarqué une mimique récurrente chez lui. Cette série recense ses 122 apparitions où cette expression singulière est visible. Ces clichés, coupés de leur contexte, donnent une impression de faiblesse, comme si la timidité de Serling apparaissait à l’écran. En aviation, le Twilight Zone désigne aussi le moment où le pilote a l’impression de voir la ligne d’horizon disparaitre lorsqu’il est en phase d’atterrissage, ce qui traduit encore plus le sentiment de malaise que l’on semble déceler sur le visage du réalisateur.A l’heure qu’il est, je ne suis pas certain de présenter ce travail au festival Circulations car je dois m’assurer des droits d’images et droits d’utilisation… Un plan B est néanmoins en place !
En tout cas, j’ai vraiment hâte d’y être. L’équipe Fét’art organisant Circulations est vraiment toppissime! Se retrouver au 104 dans ce festival sur la jeune photographie européenne est une vraie chance et un réel retour à mes premiers amours.

© Mathieu Roquigny –  Abracadabra

Quels sont vos projets, actualités à venir ?
Le projet le plus beau et le plus flippant à la fois : papa.