commissariat : Camille Bardin
avec : Jean Claracq, Lenny Rébéré, Mathieu Roquigny et Romain Vicari
Il ne faudrait pas pleurer, ne pas jouer à la poupée, ne jamais se montrer vulnérable, ne pas être trop féminin, ne pas avoir peur. Il faudrait savoir se battre, avoir des muscles et des poils, tenir l’alcool, être bien membré et toujours prêt à bander, avoir de l’ambition, être un bon père de famille, être hétéro, être un homme accompli, se surpasser, être viril et courageux.
Un homme, un « vrai », apprend depuis son plus jeune âge à tendre vers une masculinité qui serait toute naturelle, qui irait de soi. Si bien que toute personne qui sortirait de ce cadre serait amputée d’une partie de cette masculinité dont on fait arbitrairement l’hégémonie 1 . Malheureusement, comme l’écrivait Simone de Beauvoir 2 : « Un homme ne commence jamais par se poser comme un individu d’un certain sexe ; qu’il soit homme, cela va de soi. » Cette entreprise de naturalisation des identités de genre constitue dès lors un frein à toutes réflexions autour de ce qu’est un homme, de la manière dont il a été éduqué et dont on a construit son genre. Si les consciences féministes émergent aujourd’hui, les hommes doivent donc eux aussi initier leur déconstruction. Car nombreux sont les stéréotypes sexués masculins qui assoient la domination de l’homme sur la femme mais aussi, de manière plus insidieuse encore, qui motivent la domination de l’homme sur lui-même.
Ces problématiques traversent certaines des œuvres de Jean Claracq, Lenny Rébéré, Mathieu Roquigny et Romain Vicari. Sans qu’il ne s’agisse pour autant d’un sujet de prédilection, chacun d’entre eux a abordé de manière plus ou moins frontale la question du corps de l’homme, de sa représentation, de la fluidité de son genre ou des injonctions à la virilité et à l’hétéronormativité 3 . En représentant 4444 phallus, Mathieu Roquigny s’inspire par exemple de ce geste irrévérencieux qu’il est donné de faire à chaque enfant sur les bancs de l’école. Complètement déchargé de son aspect sexuel, ce petit penis qu’il a inlassablement représenté est une sorte de doigt d’honneur à portée de trousse. Cette oeuvre pleine de tendresse, qui convoque bien davantage l’univers de l’enfance que l’engagement politique est néanmoins révélatrice d’une certaine omnipotence. En effet, qu’en est-il de notre capacité à représenter l’alter ego féminin de cet organe ?4
Dans l’oeuvre de Lenny Rébéré il y a également une part non négligeable laissée à l’absurde. Ici, l’artiste a condensé plus d’une dizaine d’heures de vidéos enregistrées par un amateur dans les années 1990, cet inconnu focalisait son objectif sur les corps bodybuildés de certains hommes présents sur Venice Beach. Ce sont des heures de rush VHS durant lesquels ces hommes s’entrainent, se pavanent, scrutent les corps des autres. C’est alors un drôle de jeu qui se profile sur cet écran publicitaire. Les violents pixels esquissent des corps devenus des produits de consommation. Ainsi se meuvent devant nous, des chasseurs devenus des proies. De quoi laisser songeur-s-e quant à l’importance du sport et des muscles dans la construction d’un idéal de masculinité hégémonique.5
Les œuvres de Romain Vicari et Jean Claracq tentent à l’inverse de proposer une masculinité renouvelée, une masculinité plus saine, qui se serait débarrassée de son pendant viriliste et hétéronormé. Les œuvres de Jean Claracq ébauchent notamment des corps qui s’offrent aux autres avec sérénité et douceur, comme le suggère cette petite préciosité : un fessier duquel s’échappe une perle. Tout aussi érotique, sa peinture Dallas II, présente un homme que l’on surprend en train de fermer sa fermeture éclaire. Au fond, la présence symbolique d’une orchidée suggère la présence de l’autre. Enfin, l’oeuvre de Romain Vicari montre les fragments d’une danse, d’un corps dénué de genre. Ici, l’artiste a moulé les courbes d’un ami à lui. En ayant glissé son sexe entre ses cuisses lors de la pause, le modèle propose un corps plastique et fluide, capable de naviguer entre les genres, il propose de nouvelles possibilités d’existence.
L’exposition Boys don’t cry est le fruit d’un heureux hasard. Elle n’a pas pour ambition de proposer un chemin qu’il serait juste d’emprunter mais souhaite surtout appeler les hommes à s’interroger sur les injonctions dont ils font les frais. Elle est un appel à la déconstruction , un appel à la liberté. 6
C.B – juillet 2020