mai 2015

Prix Kristal, 60ème salon de Montrouge

La vie mode d’emploi 1

Fin observateur de la vie quotidienne, Mathieu Roquigny aborde la disparition des êtres et des choses en usant de l’absurde. Combinant les contraintes et les libertés inhérentes à notre vie de tous les jours, la référence au roman La Disparition de Georges Perec n’est pas loin. Elle est une clé d’entrée pour comprendre l’intérêt que Mathieu Roquigny porte à l’absence et à la douleur que la disparition engendre. Au sein de cette filiation, Mathieu Roquigny trouve aussi un lien de parenté avec l’Oulipo, groupe international de littéraires et de mathématiciens se définissant comme des « rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir ». Promesses de vitalité et de légèreté, ses œuvres ne sont pas teintées de nostalgie, elles sont bien au contraire traversées par des processus mémoriels où l’action ludique, la résonance joyeuse et familière d’un mot prédominent.

Tant l’écoulement du temps que le contexte de l’oeuvre lui permettent d’envisager des formes improbables et incongrues menées par accumulation ou par collecte de déchets et de rebuts de la vie quotidienne. Le rapport à l’alimentaire et à la consommation se trouve au coeur des processus de sérialité qu’engagent Mathieu Roquigny. De l’eau teintée et gelée en lettres-glaçons dégoulinant sur un mur, des boulettes de papier toilette mâché en forme de tondo, des pizzas carbonisées rehaussées dans un encadrement classique, Mathieu Roquigny sculpte de multiples temporalités faisant l’apologie de l’anodin et du trivial. Débuté en mai 2011, Between me and us est une œuvre en cours avec des bouteilles de whisky vidées par absorption puis remplies avec de la cendre, cigarette après cigarette. Il archive minutieusement ces urnes funéraires, réceptacles de plaisirs artificiels et d’une mort à petit feu. Quant à elle, l’œuvre L’oubli faite de quatre morceaux de pizza calcinés et littéralement oubliés dans un four sont magnifiées telles des croûtes terrestres d’une autre ère.

L’idiotie, la paresse, l’oisiveté sont ici entrées en fusion et font la part belle à la création sous toutes ses formes et sans limite. Tel un ready made prêt à manger, TUC pour Tonton Michel, rend un hommage à son oncle disparu en récupérant des gâteaux apéritifs à l’issue de la cérémonie funéraire. Placés de manière mécanique et répétitive, ces 28 tucs mis sous verre sont un hymne aux petites joies, éventuel « au-delà » de la douleur. Maison close, château de cartes érotiques avec des pin up des années 50 est un pied de nez à l’image dite « cochonne » où la pulsion scopique tend vers la fragilité par l’entremise du jeu. Les matériaux utilisés subissent de multiples transformations et mutations à la manière d’un aliment ingéré par le système digestif, lente ou rapide dégradation formelle. Wahrolien, duchampien, oulipien, Mathieu Roquigny ne badine pas avec l’humour. Ses œuvres contiennent des potentialités poétiques et suggestives où la mort, le rire, le goût et le dégoût se rejoignent. Il magnifie des fragments de vie emplis de banalité. Du rien au plein, du vide à l’accumulation, ses œuvres sont une palette colorée de nos rires, extériorisation subtile de nos émotions.

Marianne Derrien

1Titre emprunté au roman de Georges Perec

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